DES COMMERCANTS, DES CARAVANIERS, DES ELEVEURS DEPUIS TOUOURS
 
Depuis les très longtemps, les habitants de la corne de l'Afrique ont pratiqué le commerce.
Déjà 2300 ans avant j.-c., les Egyptiens venaient chercher l'encens, la myrrhe, le kohol, les plumes et oeufs d'autruche au pays de Pount. Depuis des millénaires, le sel du lac Assal partait vers les hauts plateaux de l'intérieur et au-delà. Les traditions de commerce entre l'arrière-pays, les côtes africaines, l'Arabie et l'Inde sont aussi anciennes que les populations.
Les hommes d'autrefois, et jusqu'à ceux d'aujourd'hui, ont toujours pratiqué les échanges: tradition des commerçants dans les ports, tradition des caravaniers à côté de celle des éleveurs nomades.
Avant l'arrivée des Européens, les caravanes partaient de Tadjoura vers le nord et vers l'ouest. La tradition populaire dit que les feux des haltes n'avaient pas le temps de s'éteindre entre le passage de deux caravanes successives. Ce sont des milliers de chameaux qui circulaient ainsi.
Les marchandises transportées venaient des Indes essentiellement, soit par Aden, soit directement. Le marchand le plus important à l'époque du pacha Chermarké était sans conteste Abou Baker Ibrahim.
De tout temps la navigation traditionnelle dans la région était assurée par des boutres, de plus petits comme les zeimas que l'on voit encore aujourd'hui, aux plus gros, pontés et armés de deux mâts.
 
 
ARRIVEE DES EUROPEENS
 
Les Anglais sont les premiers à avoir eu une politique en mer Rouge. Ils s'installèrent à Aden, prise le 16 janvier 1839.
Les Français commencèrent plus timidement. Ils pensaient que l'Abyssinie pourrait être intéressante lorsque la mer Rouge s'ouvrirait à la navigation grâce au canal de Suez. D'autres Français s'intéressèrent à l'Éthiopie. Les Anglais, inquiets des mouvements français en mer Rouge, s'assurèrent des "droits" sur les îles Moucha et Maskali, le 31 août 1840, puis sur l'îlot Abou-Maya, à l'entrée du Ghoubbet-el-Kharab et enfin sur l'îlot d'Eivat face à Zayla. Ils signèrent un traité de commerce avec le sultan de Tadjoura et avec Chermarké, le pacha de Zayla. Les Français cherchèrent à établir des contacts. C'est ainsi qu'Henri Lambert, commerçant français de Maurice, s'installa à Aden en 1855. Il devint agent consulaire en 1857. Il se lia avec Abou Baker Ibrahim, puis il commit l'imprudence de se mêler à des rivalités locales entre Abou Baker et Chermarké, s'attirant l'animosité de ce dernier. Abou Baker offrit à Lambert la cession de droits sur le Ras Ali et la baie d'Ouanno (Obock). Le conflit entre Henri Lambert et le pacha Chermarké s'envenima à tel point que ce dernier décida la perte de le tuer. Au cours d'un voyage en boutre, le 4 juin 1859, au mouillage de Moucha, les membres de l'équipage assommèrent, dépouillèrent et jetèrent à la mer Henri Lambert.
Son assassinat provoqua une réaction officielle du gouvernement français. Cette fois, la France s'engagea: le Il mars 1862 fut signé à Paris un traité d'alliance et d'amitié avec les chefs afars représentés par Dini Ahmed Abou Baker, et conclue la cession de droits sur des terrains sis à Obock pour la somme de 10 000 thalers (55 000 francs-or). Un acte additionnel réservait des droits à la France sur les côtes du Ghoubbet-el-Kharab.
 

OBOCK, LA PREMIERE CAPITALE
 
En 1862, Obock tomba dans l'oubli, seul un gardien surveillait le pavillon français que les navires de guerre saluaient à leur passage d'une salve d'artillerie.
 
 
L'INITIATIVE REVIENT AUX COMMERCANTS
 
Denis de Rivoyre obtint la première concession à Obock en 1872. Puis Pierre Arnoux, arriva en 1880 et tous deux fondèrent en 1881 la Compagnie Franco-Éthiopienne. La même année, Soleillet et Chefneux créèrent la Société Français. La société fit faillite en 1886 et enfin Brémond fonda les Factoreries Françaises. Leur commerce portait sur les marchandises traditionnelles et sur les armes d'importation. Les marchandises importées transitaient par Aden et venaient à Obock par boutre. Les caravanes partaient d'Obock, de Tadjoura, de Sagallou et s'acheminaient vers Ankober ou vers Harar.
 
 
LES GRANDES MUTATIONS DES ANNÉES 1880
 
A partir de 1882 s'ouvrit une nouvelle période: celle de l'intervention directe des puissances européennes dans la région. Une nation dominait toutes les autres et menait le jeu: la Grande-Bretagne. Afin de limiter l'influence française, les Britanniques préférèrent soutenir les Italiens, présents à Assab. En juillet 1884, ils occupèrent Berbera et Zayla mais furent devancés par les Français à Tadjoura. Lagarde, mis au courant des intentions des Britanniques, envoya un aviso devant Tadjoura la nuit même qui suivit le départ de la garnison égyptienne. Lorsque le lendemain au matin, le navire de Sa Majesté mouilla devant la ville, le pavillon français flottait toujours sur Tadjoura.
C'est à cette époque qu'Arthur Rimbaud commerçait avec Ménélik et faisait partir ses caravanes de Zayla et de Tadjoura. En 1884, il s'y installa à son propre compte mais ne réussit guère dans ses affaires.
 
 
APRÈS LES COMMERÇANTS, L'ADMINISTRATION
 
Le gouvernement français s'était complètement désintéressé d'Obock depuis le traité de 1862. Tout allait changer avec l'affaire du Tonkin et la guerre franco-chinoise de 1883-1885, puis les premières opérations à Madagascar. Les vaisseaux de la marine de guerre devaient souter le charbon au sud de la mer Rouge. Ils le faisaient habituellement à Aden. Or les Anglais fermèrent leur port à la marine française. On se souvint alors que Jules Mesnier et les Charbonnages Poingdextre du Havre avaient installé un dépôt de charbon à Obock pour ravitailler les bateaux de la "Ligne d'Orient des steamers de l'Ouest" ralliant Zanzibar au Golfe. Une convention fut donc signée pour l'approvisionnement des navires de l'État, le 19 décembre 1883.
Le 29 décembre 1883, un décret nommait le vicomte Léonce Lagarde de Rouffeyroux "Commissaire du Gouvernement en mission spéciale à Obock pour la reconnaissance et la délimitation du Territoire d'Obock". Il avait 24 ans. Il rendit compte de sa mission à Paris en avril 1884 et deux mois plus tard était nommé commandant d'Obock.
La première tâche de Lagarde fut de régulariser la situation avec ses voisins immédiats. Il signa un traité d'alliance et de protectorat avec le sultan de Tadjoura, puis avec le sultan du Gobaad. Le sultan de Rahaïto, quant à lui, était soumis à l'influence des Italiens d'Assab. Il reconnut néanmoins, le 10 janvier 1885, la "souveraineté" française sur la côte de la mer Rouge, du Ras Ali au Ras Doumeïra. L'influence française était ainsi limitée au nord.
Lagarde signa encore un traité avec les notables Issas, tandis qu'au même moment Henry, consul de France à Zayla, concluait un accord avec les Gadaboursis. C'est alors que s'engagea la compétition avec les Anglais. Lagarde convoitait Zayla et la route commerciale Zayla-Harar. Rapidement il avait compris qu'Obock ne devait pas être seulement une escale pour les navires de guerre français. L'avenir de la position française sur ces côtes lui semblait lié aux rapports politiques et commerciaux qui pourraient s'établir avec l'Éthiopie.
 
 
LES OBOCKOIS DE LA PÉRIODE HÉROÏQUE
 
En juillet 1885, Obock comptait 800 habitants, en 1886, il y en avait deux mille!
Lagarde fut nommé gouverneur le 5 septembre 1887.
Vingt-deux commerçants dont douze Européens s'étaient installés à Obock.
Le 30 juin 1886, la Compagnie des Messageries Maritimes signait avec l'État une convention pour l'acheminement du courrier et le transport des fonctionnaires. Un agent de la compagnie vint donc s'installer à Obock où les navires devaient faire escale.
Les autres commerçants étaient essentiellement d'origine arabe yéménite. Lagarde avait demandé au consul de France à Aden d'inviter quelques familles à s'installer à Obock et de trouver de la main d'œuvre pour les manutentions du port. C'est l'origine du premier noyau yéménite d'Obock, qui deviendra ensuite le premier noyau yéménite de Djibouti.
Peu de femmes résidèrent à Obock, huit seulement y vécurent: deux femmes de fonctionnaires, deux femmes de négociants et quatre religieuses - des Franciscaines de Calais venues tenir un orphelinat en 1888.
Le reste de la population était composé de quelques Somalis et d'Afars venus des campements avoisinants qui assuraient le rassemblement des chameaux nécessaires aux caravanes.
 
 
LES AMBITIONS DE LAGARDE
 
Une fois la guerre de Chine achevée, le rôle d'Obock pouvait sembler terminé.
Mais abandonner Obock, c'était voir disparaître les privilèges français acquis tout autour du golfe de Tadjoura, à la sortie de la mer Rouge. En outre Lagarde n'avait pas l'intention de renoncer à l'œuvre qu'il avait entreprise. Pour lui, Obock était la première marche des hauts plateaux éthiopiens.
En fait, une compétition franco-britannique s'engagea autour de Zayla, porte de Harar. Des pourparlers n'aboutirent que le 9 février 1888. Entre-temps, un élément nouveau avait bouleversé l'horizon politique local: l'intervention de l'Éthiopie dans les rivalités qui opposaient les Européens établis sur les côtes. Chacun chercha donc l'amitié et l'appui du puissant roi Ménélik. C'est dans le cadre de cette lutte d'influence que Lagarde fut amené à créer Djibouti et abandonner Obock.
 
 
LE PREMIER COMPTOIR
 
Le 2 janvier 1887, Ménélik entrait dans Harar. Les puissances européennes furent surprises. Tous les plans échafaudés pour leur extension vers l'intérieur devaient être reconsidérés. Le Ras Makonen, devenu gouverneur de Harar écrivit à Lagarde dans le but "d'établir d'amicales relations ". Le 1er juin, l'empereur Ménélik demandait un passage jusqu'à la mer, sur la côte des Issas en échange de la protection des négociants français et de mesures contre le commerce des esclaves. Le 5 septembre, Lagarde était nommé gouverneur du Territoire d'Obock, et le 6, devenait "Consul Général des Somalis" à Zayla. Le gouvernement français était décidé à collaborer avec Ménélik et à devancer les Anglais.
Le 8 février 1889 on aboutit à un accord, sans respecter les traités antérieurs signés avec les habitants du pays: la frontière partirait de "Lehadou" (Loyada) à mi-chemin environ entre le Ras Djibouti et Zayla et suivrait les points d'eau de la route de Harar. Les îles Moucha et l'îlot d'Abou Maya étaient cédés à la France.
 
 
LE RAS DJIBOUTI: UN ROCHER DE MADRÉPORE, UNE ANSE, DE L'EAU DOUCE
 
La paternité du choix du site est controversée, tout comme l'est l'origine du nom... Plusieurs explications ont été proposées: l'origine Afar a été retenue par Monsieur Chédeville et par Luc Kern. Du mot gabôdli, l'"endroit au gabdo" ou gaboduti, dériverait le mot afar "Gabùti", qui désigne Djibouti en afar encore aujourd'hui. Gabdo signifie présentoir à galettes de dourah: c'est une vannerie plate qui pourrait rappeler la forme des îles madréporiques du Ras Djibouti. On trouve le mot somali de Gabode sur la zone côtière sud-est de la ville - un quartier en a conservé le nom -. C'est en fait un mot somali qui signifie terre (ou individu) stérile, pays ingrat. Faut-il donc retenir le nom afar, plutôt marin, qui désignerait l'archipel ou le nom somali, plus pastoral, qui désigne la région côtière?
Le site était connu des navigateurs arabes qui venaient s'y abriter ou prendre de l'eau. Des puits existaient à Ambouli et à Doralé. Quelques campements Issas s'y fixaient saisonnièrement. Une tradition locale raconte que les îles (Serpent, Marabout), accessibles seulement à marée basse, servaient de refuge aux femmes et aux enfants en cas d'affrontements avec les voisins. Une autre tradition rapporte qu'un campement permanent se tenait près d'un point d'eau situé au pied de l'actuelle rampe du Bender. A la requête de Lagarde qui cherchait un endroit favorable au sud du golfe, Bourhane Abou-Baker avait donc proposé un point de la côte proche de Zayla, soit Ras Djibouti, soit Doralé, soit Ambado plus à l'Ouest. Lagarde y envoya des missions. C'est le commerçant Éloi Pino qui aurait, le premier, utilisé Ras Djibouti pour faire partir ses caravanes.
Quoiqu'il en soit, la reconnaissance en fut effectuée, l'excellence reconnue. Des commerçants utilisèrent le site d'abord occasionnellement, puis s'y installèrent. Lagarde enfin y fixa son choix.
 
 
UN BEY À LA TÊTE DE LA NOUVELLE VILLE
 
Éloi Pino avait donc installé quelques baraquements précaires dans un premier temps, et ses employés quelques huttes; il fut rapidement suivi par d'autres commerçants.
Lorsque Lagarde reçut l'accord de Paris, il inaugura officiellement Djibouti au début du mois de mars 1888. Ce n'était encore qu'un marché sur le plateau de Djibouti, à l'emplacement de l'actuelle Place du 27juin (Place Ménélik).
Le succès fut rapide: des commerçants de Zayla achetèrent des caravanes. Quelques-uns commencèrent à s'installer à côté d'autres venus d'Obock. Le consul Labosse, ancien de Zayla, écrit le 7 juillet: "Chaque jour des habitants de Zeylah viennent s'établir chez nous; ils y trouvent de l'eau en abondance, sont bien traités et à l'abri des agents anglais. "
Brémond déménagea sa factorerie et la reconstruisit près de l'endroit où Lagarde avait débarqué. Il fut rapidement suivi par d'autres comme Garrigue, Coubèche, Marill, etc.
Se posa alors pour Lagarde le problème de l'administration de ce nouveau comptoir. Deux possibilités s'offraient à lui: "Soit établir de toutes pièces une administration et une ville européenne, comme je l'avais fait à mon arrivée à Obock. Soit m'adresser, au contraire, à un chef indigène qui s'installerait dans le pays avec un subside de notre part, le créerait en y attirant ses tribus, et serait soumis à notre simple contrôle. "
Lagarde nomma donc Bourhane Abou Baker, bey de Djibouti. Pour diriger la ville naissante, il disposait d'un embryon d'administration: un Diwan. Bourhane s'installa à Ras Djibouti avec sa famille. Il fit construire une maison de madrépore au bord de la mer et jeter un petit pont sur le bras de mer qui porta ensuite son nom: le Khor Bourhane. Le Diwan fut édifié sur la place du marché, de même qu'un poste de police. Cette place était la place centrale, dite "du Gouvernement". Lagarde venait périodiquement à Djibouti. Il se fit construire une résidence sur le rocher le plus élevé, non loin de la maison de Bourhane.
Pour les toutes premières installations portuaires, le principe de celles d'Obock fut répété: on lança tout de suite une digue faite de moellons de madrépore, d'environ 800 mètres de long. Elle partait du fond de l'anse, au pied de la résidence de Lagarde. En fait, elle permettait les opérations de transbordement des boutres à marée basse. A marée haute, ils pouvaient accoster au bord du rocher. Il n'existait ni engin de levage, ni hangars d'aucune sorte. Les boutres faisaient la navette entre Djibouti et Obock.
 
 
DJIBOUTI DEVIENT CAPITALE
 
La nouvelle ville eut très rapidement beaucoup de succès, si bien que dès 1893, Djibouti comptait 1200 habitants alors qu'Obock, la capitale, ne dépassait pas le millier. L'administration française commença à faire sentir son poids plus directement, finit par entrer en conflit avec Bourhane Bey en 1894 et l'obligea à quitter ses fonctions. L'année suivante, 4 à 5000 habitants résidaient à Djibouti et, au mois de mars, Lagarde opérait le transfert de tous les services administratifs. A l'occasion de cette situation nouvelle, les Français achevèrent d'asseoir leur autorité. Par le décret du 90 mai 1896 ils créèrent une nouvelle colonie en réunissant le Territoire d'Obock, les protectorats sur Tadjoura, le Gobaad, le Ghoubbet-el-Kharab, le pays Issa - jusqu'aux limites avec les Anglais - avec Djibouti pour capitale. C'est l'acte de naissance officiel de la "Côte Française des Somalis et Dépendances".
Pour faire face à son nouveau rôle, Djibouti devait se doter des équipements nécessaires à une capitale et à un port digne de ce nom.
La ville s'ordonna autour de trois pôles en fonction des besoins commerciaux, administratifs et de l'habitat: le port et les maisons de commerce, les bâtiments de l'administration coloniale, les maisons des Européens, le marché et les quartiers "indigènes".
Lagarde se fit édifier une résidence - le palais - sur le rocher qui domine la rade. Les quais du port aux marchandises furent disposés au pied du palais tandis qu'on lançait la jetée de l'Escale pour y édifier le débarcadère des passagers. Sur le rocher du Marabout, de l'autre côté de l'anse, s'installèrent le port au charbon, au plus loin de la ville en raison de la poussière, et la Compagnie de l'Afrique Orientale avec ses chalands qui servaient au transbordement des navires mouillés en rade.
Non loin du port, sur le rocher de Djibouti, s'organisa la place centrale, nommée alors place du Gouvernement (place du 27 juin). L'administration emménagea au Secrétariat Général tandis que les commerçants européens construisaient au nord de la place et les commerçants arabes au sud, limités par le talus du Bender. La première mosquée, Sayed Hassan, fut édifiée en surplomb du Khor Bourhane. Le marché central descendit au pied du rocher de madrépore; point de départ et d'arrivée des caravanes, il porta longtemps le nom de place des chameaux. Le village somali, le Bender Diedid, avec ses maisons "arish", fut repoussé au sud de cette grande place tandis qu'un village de pêcheurs aux toits de paille - Boulaos - bordait la côte du golfe d'Aden à l'est. A Ambouli enfin, près de l'oued, des jardiniers arabes cultivèrent des jardins maraîchers. Le commerçant Hammoudi fit planter les premiers dattiers du Yémen.
Dès le départ, Djibouti affirmait sa vocation: port de commerce, débouché des Hauts-Plateaux fertiles et peuplés, escale maritime, point d'appui politique pour la France. La physionomie générale de la ville était esquissée. Deux grandes entreprises nouvelles allaient lui donner le visage qu'elle garderait jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale: les Salines et le Chemin de fer.
 

L'AVENTURE DU CHEMIN DE FER
 
En vue de porter aide à la Mission Marchand, qui devait traverser à pied le continent africain depuis les côtes du Congo jusqu'au Nil Blanc, la Mission de Bonchamps se proposait de rejoindre la rive droite du Nil Blanc. Partant de Djibouti, elle traverserait l'éthiopie. Lagarde fut chargé de la préparation diplomatique. Ses pourparlers avec le ras Makonen puis le négus Ménélik aboutirent à la signature du traité franco-égyptien du 27 janvier 1897, aux conditions intéressantes pour Djibouti. Il stipulait, entre autres clauses:
- que la France considérait Djibouti comme le seul débouché du commerce éthiopien et autorisait le transit du matériel de guerre nécessaire à l'Empire éthiopien,
- que l'Éthiopie considérait Djibouti comme le seul débouché officiel du commerce éthiopien,
- que les frontières étaient fixées entre la colonie et l'Éthiopie.
Le 11 février 1893, Alfred Ilg, ingénieur suisse, obtenait de Ménélik la concession de la construction de tous les chemins de fer en Abyssinie. Le 9 mars 1894, il fondait, avec Chefneux, la Compagnie Impériale d'Éthiopie pour la construction d'un chemin de fer Djibouti-HararAddis-Nil Blanc. Le 7 août 1896 naissait la Compagnie Impériale des Chemins de fer Éthiopiens. Malgré de médiocres moyens financiers, les travaux débutèrent en octobre 1897 avec les entrepreneurs Duparchy et Vigouroux.
 
 
L'ÉPOPÉE: DE LA C. I. E. AU C. F. E.
 
Les difficultés naturelles, techniques et humaines étaient accablantes. Tout était à créer, à importer, à amener à pied d'œuvre. Djibouti naissait à peine. Il fallait s'enfoncer dans un pays désertique, peu sûr, au climat torride, au relief torturé. Les moyens techniques étaient rudimentaires, la situation sanitaire pleine de risques. Les victimes furent relativement nombreuses (le souvenir en est resté vif parmi les Djiboutiens). Les difficultés financières furent encore plus grandes que les difficultés naturelles. La ligne s'arrêta à Diré-Daoua (km 309, 1206m d'altitude), le 24 décembre 1902, Harar étant jugé impossible à atteindre à cause de l'escarpement, et compte tenu des moyens qui restaient à la compagnie. En mai 1904, s'engagèrent à Londres des négociations anglo-franco-italiennes. Elles aboutirent à la signature, le 6 juillet 1906,de "I'Accord Tripartite": le statu quo politique et territorial de l'Éthiopie était
maintenu, un accord pour qu'une compagnie française continue la ligne jusqu'à Addis-Abeba était signé, mais la France renonçait à toute extension vers le Nil. Cet accord permit la poursuite de la construction de la ligne. La C. I. E. déposa son bilan le 6 juin 1907.
Le gouvernement mit tout en oeuvre pour qu'une société française prit la succession. Le 15 mai 1909, naquit la Compagnie du Chemin de Fer Franco-Éthiopien de Djibouti à Addis-Abeba, plus connue sous son sigle C.F. E. Elle bénéficiait de la garantie de l'état français et put ainsi réunir les capitaux nécessaires à l'achèvement de l'œuvre interrompue depuis six ans.
Les conditions naturelles étaient toujours aussi dures. Le climat était sans doute plus clément en altitude, mais les conditions sanitaires encore plus déplorables. Mais la Première Guerre mondiale désorganisa les cadres et le personnel, ralentit les livraisons du matériel, augmenta les prix... Le 31 janvier 1914, l'aouache était franchi. Addis-Abeba fut atteinte en 1915 (km 783,256, altitude 2348 mètres), et la ligne ouverte officiellement au commerce le 7 juin 1917.
La construction de cette ligne avait duré près de vingt ans, coûté 115 millions de francs or et... un certain nombre de vies humaines.
 
 
LA RÉVOLUTION DU CHEMIN DE FER
 
La ville de Djibouti comptait approximativement 6000 habitants en 1897. Elle passa brusquement à 10 000 environ en 1898, puis à 15 000 en 1900, dont 2000 Européens. La construction du chemin de fer nécessita des ingénieurs, des contremaîtres et des ouvriers européens. Les ouvriers avaient des tâches diverses: direction d'équipes, armement de la voie; les moins qualifiés étaient tâcherons et sous-tâcherons. Si les ingénieurs étaient français, la plupart des contremaîtres et ouvriers étaient italiens. Le personnel d'origine locale, non spécialisé, travaillait en qualité de manœuvre. Il était composé essentiellement d'Arabes et de Somalis. Leur nombre tourna autour de 1900, portant le total du personnel durant la construction à 2500 personnes. La compagnie s'assura la collaboration de personnalités locales - tel Guelleh Batal - en qualité de responsables du recrutement des ouvriers et du bon ordre. La construction du chemin de fer, par son activité même et par les possibilités qu'il ouvrait, allait transformer la petite ville de Djibouti et la lancer véritablement.
Le plateau du Serpent était tout indiqué pour l'installation du chemin de fer. On se trouvait ainsi à mi-chemin entre les deux pôles d'activité de la ville - le port aux marchandises et le port au charbon -, sur un endroit suffisamment vaste et plat. Pour la gare, la construction métallique était de rigueur : une armature de poutrelles d'acier s'appuie sur un socle de moellons de basalte. Les murs sont de brique, des galeries apportent l'ombre nécessaire. Pas de fenêtres, mais seulement des volets de bois à lames. La toiture est faite de tuiles rouges. Les haltes le long de la ligne furent construites en basalte - la pierre du lieu -, et recouvertes de tôle ondulée. Des logements pour le personnel de direction s'établirent au sud-est du Plateau. Rien ne déterminait encore rue ou place.
Les trois plateaux avaient besoin d'être reliés. A marée haute, on ne pouvait circuler qu'à cheval ou en barque. Le remblai du chemin de fer limitait l'avancée de la mer à l'Est, mais le passage restait marécageux. La Société Industrielle d'Orient fut chargée de la construction d'une route sur remblai de madrépore.
Peu de temps après, une autre voie reliait le Serpent au Marabout. Le port aux marchandises se dota de hangars et d'une grue à vapeur.
Si les infrastructures se modernisaient, le monde du commerce en fit autant. La Banque de l'Indo-Chine déménagea pour de plus vastes bâtiments, à pied d'œuvre, face au port aux marchandises et commença à émettre le papier-monnaie.
Le 12 février 1907, un décret du Gouverneur créait la Chambre de Commerce. D'abord simple organe de renseignements, elle devint une véritable chambre de commerce par le décret du 31 mai 1912 signé du Ministre des colonies Lebrun et du Président Fallières. Elle ne prenait en compte que les patentés, ceux qui pratiquaient un commerce "à l'occidentale". La notice de 1900 sur la Côte Française des Somalis annonce 27 commerçants français, 29 grecs, 1 arménien, 192 arabes, indiens ou "indigènes". On y trouve des noms connus tels que Hammoudi, Marill, Rhigas, Riès.
La Société des Salines de Djibouti fut créée par un industriel, monsieur La Fay. Il reprenait la première concession qui avait été donnée en 1906 à monsieur Mingois. L'idée n'était pas nouvelle... L'exploitation traditionnelle du sel du lac Assal est ancestrale.
Les premières salines furent implantées en 1906, à l'ouest de la plaine inondable sur une superficie de trois hectares. Elles s'agrandirent rapidement pour occuper quarante hectares en 1913. Les installations étaient celles de salines classiques, à ceci près que les pompes élévatrices pour amener l'eau de mer étaient actionnées par 5 ou 6 moulins à vent. En 1912, les salines produisaient 1500 tonnes, en 1913, 2815 tonnes. Le premier marché d'exportation fut celui d'Éthiopie. La Société Industrielle avait à sa charge l'adduction et la distribution des eaux. Elle avait installé des pompes et un réservoir à Ambouli, des bornes-fontaines dans la ville et une canalisation jusqu'à l'extrémité de la jetée du Marabout pour approvisionner les navires. Une canalisation de sept kilomètres reliait la ville à Ambouli depuis 1900, mais on vit longtemps encore le chameau distributeur parcourir les rues.
 
 
L'ENTRE-DEUX-GUERRES
 
Peu de faits marquants caractérisent la période de la Première Guerre mondiale à Djibouti, qui était en dehors des zones actives du conflit. Signalons cependant qu'en 1911, les Allemands avaient demandé Djibouti comme compensation dans la question de Tripolitaine d'où ils avaient été évincés au bénéfice des Italiens. Ils renouvelèrent leurs revendications durant la guerre. En 1916, un détachement de Tirailleurs Sénégalais repoussa une tentative d'infiltration allemande.
La Côte Française des Somalis s'illustra en Europe durant le conflit. Le Bataillon Somali participa glorieusement à toutes les grandes batailles: Douaumont, Chemin des Dames, la Malmaison, le Mont de Choisy, l'Oise, l'Alsace. Avec ses 400 morts et 1200 blessés sur 1700 volontaires... son régiment, le R.I.C. M., fut proclamé 1er Régiment de France.
Malgré la guerre, le ralentissement des affaires et la difficulté des transports, l'activité commerciale augmenta de manière constante au rythme de l'avancement de la voie ferrée.
Dans la ville elle-même, il y eut peu de nouveautés pendant la guerre, si ce n'est la création en 1916 de la première usine électrique de Repicci. Elle fournissait un courant continu qui permettait de faire tourner quelques ventilateurs, d'allumer quelques lampes et d'alimenter une machine à glace. L'électricité, symbole du modernisme, circulait à Djibouti...
 
 
L'APRÈS-GUERRE: LES SIGNES DE LA PROSPÉRITÉ
 
Chemin de fer achevé, salines équipées et en extension, installations portuaires capables de ravitailler les navires en charbon, en eau et en vivres, Djibouti devait cette fois répondre aux espérances et assurer son double rôle de port d'escale et de port de transit. En 1920, Djibouti se classait en septième position par rapport aux grands ports des colonies françaises.
Malgré des conditions d'exploitation difficiles et onéreuses, la Compagnie du Chemin de Fer remboursait, depuis 1924, le capital avancé au titre de la garantie et les intérêts, servait de meilleurs dividendes à ses actionnaires. Elle augmenta ses réserves, améliora son parc roulant et construisit la gare d'Addis-Abeba.
Le trafic du port ne dépassa jamais les 150 000 tonnes jusqu'aux années 30. Un bond éphémère se produisit à partir de 1935, avec l'occupation italienne de l'Éthiopie.
Durant cette période, les Salines qui occupaient 450 hectares atteignirent leur plus grande activité, pour porter à 77 000 tonnes leur production, en 1936. Elles exportaient donc vers l'Éthiopie, mais aussi vers l'Inde et le Japon. Le port au sel était implanté au sud de la baie, derrière les cités actuelles Einguéla et Arhiba.
Le service des Postes commença à se moderniser. Il hérita en 1920 du télégraphe de la Marine Nationale qui permettait des liaisons nocturnes avec la France, Madagascar et l'Indochine. La station côtière (le " Sanfil") assurait la liaison avec les navires en mer et avec Aden et donc les câbles de l'Eastern. La liaison avec l'Éthiopie passait par un fil loué au C. F E. Un réseau téléphonique urbain fit ses débuts à Djibouti.
Le service de Santé comprenait l'hôpital Intercolonial racheté au C.F.E. de 44 lits (Peltier), une infirmerie pour les "indigènes" (l'ancien Pierre Pascal), un dispensaire (Chapon-Baissac) pour les femmes et les enfants et un lazaret sur l'île du Héron.
L'enseignement primaire fut assuré par l'école de garçons de la République à partir de 1922 pour l'enseignement public. Dans le privé, l'école de la Nativité des Sœurs Franciscaines de Calais accueillait les filles. Les enfants du pays suivaient la coutume et fréquentaient les écoles coraniques ou l'école Franco-Islamique ouverte par les soins de monsieur Coubèche.
Signe de temps nouveaux, le premier avion se serait posé en 1925 entre les avenues 13 et 26. L'armée disposait d'une demi-escadrille de Potez 25.
Ainsi Djibouti commençait à prendre des allures de grande ville, mais elle restait limitée par les installations sommaires de son port et Aden drainait toujours la majeure partie du trafic maritime de la mer Rouge.
 
 
UNE ÉPAVE POUR UN PORT NEUF
 
Le port de transit ne pouvait augmenter son activité que dans la mesure où l'activité commerciale de l'Éthiopie évoluerait rapidement. La voie ferrée permit l'augmentation du mouvement commercial, certes, mais pas plus que le pays ne pouvait fournir ou assimiler. De plus, la succession de Ménélik ouvrit une période de troubles et d'instabilité, donc défavorable aux échanges. Le gouverneur Chapon-Baissac établit un programme en 1923, visant à réaliser à Djibouti des installations maritimes permettant aux grands navires de faire à quai le chargement et le déchargement, l'approvisionnement en aliments frais, en eau, en charbon et même en pétrole, pour répondre à la nouvelle demande. Malheureusement, ces projets n'aboutirent pas.
Pour le gouvernement français, la C. F S. n'était qu'une petite colonie. Djibouti était une charnière commerciale de l'Empire. Mais c'était aussi ce que Deschamps appelle une "colonie de relation", permettant d'entretenir des rapports avec les pays voisins. La pièce maîtresse de l'empire dans l'océan Indien était évidemment Madagascar.
C'est un événement fortuit qui permit de changer complètement la structure du port. Le 12 juillet 1926, arriva en rade le Fontainebleau, vapeur des Messageries Maritimes qui faisait la ligne de Chine. Il transportait du coton dans ses cales et le feu s'était déclaré à bord. Il n'y avait pas de possibilité sur place pour éteindre l'incendie (peut-être attisé d'ailleurs par le Khamsin). Un seul moyen se présentait: inonder les cales. Le 13 juillet à 18 heures, le bateau s'échouait et se couchait sur le tribord au milieu de la rade. L'épave était disgracieuse, mais surtout dangereuse pour la navigation. On eut alors l'idée de relier l'épave au plateau du Marabout (probablement l'ingénieur Duparchy) afin de réaliser un port en eau profonde. Il fallait lancer une jetée, la "jetée du large " de près de 700 m de long. Les travaux furent confiés à la Société des Batignolles et débutèrent en 1931. Une première tranche fut achevée en 1935, la suite des travaux fut interrompue par la Seconde Guerre mondiale.
 
 
EN ÉTHIOPIE: L'INVASION ITALIENNE
 
L'affaire commença le 5 décembre 1934 avec "l'incident de Oual-Oual" entre Éthiopiens et Italiens. L'Éthiopie, membre de la S. D. N. depuis 1923, porta le conflit devant cette assemblée. Le 28 septembre 1935, Haïlé Sélassié décréta la mobilisation générale. Le 3 octobre, sans déclaration de guerre, les Italiens déclenchèrent l'invasion, à la fois -par l'Érythrée au nord et par la Somalie au sud. Le 6 octobre, Adoua était prise et l'honneur italien "vengé ". Le 18 octobre, la S.D.N. vota des sanctions qui ne servirent à rien. Le 1" mai 1936, l'Empereur dut s'enfuir. Exilé en Angleterre, il n'abdiqua jamais. Le 5 mai, Addis-Abéba était occupée et le 9 mai l'empire italien proclamé. En novembre était soudé l'axe Rome-Berlin.
Quelle fut la position de la France dans toute cette affaire? Pierre Laval, ministre des Affaires Étrangères, déclara à la Chambre le 28 décembre 1935, qu'il avait consenti à l'Italie le droit de demander des concessions dans toute l'Éthiopie. La France abandonnait ses avantages économiques et son influence en Éthiopie pour les concéder à l'Italie, en faveur du "développement pacifique" de l'action italienne en Éthiopie, Mussolini prit cela comme un accord lui permettant d'agir les mains libres.
Au moment de l'agression, la colonie fut déclarée neutre dans le conflit, signe de la bienveillance de Laval.
 
 
LA FIN DES VAPEURS : L'INSTALLATION DES SOCIÉTÉS PÉTROLIÈRES
 
Avant et pendant la conquête italienne, Djibouti continua son effort de développement et de modernisation. Avec les Italiens en Ethiopie, les conditions changèrent complètement. Ils sollicitèrent le Chemin de Fer au maximum de ses possibilités pour servir au transport des troupes et de leur ravitaillement, du matériel de guerre et aux multiples marchandises d'importation nécessaires au vaste programme d'équipement lancé dans tout le pays. A partir de 1936, le port de Djibouti vit son trafic augmenter considérablement, de même pour le Chemin de Fer.
Pour faire face à cette demande nouvelle, la compagnie modernisa son matériel roulant: quatre automotrices Fiat et de nouvelles locomotives permettaient de faire circuler des convois la nuit, donc de réduire considérablement la durée du voyage de Djibouti à Addis-Abéba. Au lieu de trois jours avec deux nuits passées à Diré-Daoua et Aouache, on pouvait mettre une nuit et une journée. Pour augmenter la capacité de transport des voyageurs et leur confort, on mit en service de nouvelles voitures, dont une voiture salon panoramique et une voiture restaurant.
Dès 1936, une piste camionnable fut tracée qui doublait la ligne en passant par Ali-Sabieh et Diré-Daoua.
Au port, il fallut s'adapter au nouveau mode de propulsion des navires. On construisit donc le premier réservoir à carburant en 1937, sur le Plateau du Marabout. L'année suivant, un terre-plein fut aménagé au nord du Marabout. La Société des Pétroles de Djibouti, filiale de la Shell, y installa d'autres réservoirs et des pompes et tuyaux nécessaires à l'alimentation directe des navires. Juste avant la guerre, le port offrait donc 6200 m² de hangars et 4 km de voies ferrées distribuées sur le Marabout, un quai en eau profonde au Fontainebleau, un quai à caboteurs et chalands à la jetée Duparchy et des terre-pleins d'entrepôts, un parc à charbon, des réservoirs à carburant avec chargement direct à quai. Cette prospérité ne devait pas durer longtemps...
 
 
LES AMBITIONS DES FASCISTES ITALIENS
 
La situation changea du tout au tout avec la dégradation des relations franco-italiennes et les revendications de Mussolini, énoncées au début de décembre 1938 par le comte Ciano: la Savoie, Nice, la Corse, la Tunisie et la Côte Française des Somalis. Ne pouvant prendre possession de toute la ligne de chemin de fer, les Italiens décidèrent de neutraliser Djibouti en rendant le port et la ligne inutiles par la construction de routes goudronnées reliant Assab et Massaoua à Addis-Abeba. Les travaux furent menés avec rapidité et les effets ne se firent pas attendre: de 700 tonnes par jour, le transit tomba à 300. Le chômage s'installa, l'Afrique Orientale et le Chemin de Fer commencèrent à débaucher. Djibouti avait cessé d'être le seul débouché de l'Éthiopie sur la mer.
A Paris, le gouvernement avait répliqué aux revendications italiennes par une fin de non-recevoir et organisé la défense de la C. F S en envoyant à Djibouti 4000 hommes de troupe dont de nombreux "Tirailleurs Sénégalais", 2 navires de guerre et une escadrille de Potez. Ces forces étaient dirigées par le général Le Gentilhomme. Celui-ci fit creuser des fossés anti chars autour et dans la ville, édifier des casemates et blockhaus à Ambouli, Doralé, creuser des galeries dans les collines à Farah-Had, Ali-Sabieh et Dikhil.
Les menaces de guerre atteignaient Djibouti.
 
 
L'ÉPREUVE ABSOLUE: LE BLOCUS

Aux premiers jours de la guerre, les familles européennes furent évacuées alors qu'il était encore temps vers l'Indochine, Madagascar ou le Liban, au gré des mouvements des navires. Les Arabes furent invités à partir pour le Yémen et les Somalis "britanniques" pour le Somali land. On conseilla aux familles du pays de rejoindre les campements de l'intérieur, par crainte de bombardements ou d'invasion.
A la déclaration de guerre franco-italienne, les Italiens n'attaquèrent pas. Il leur semblait inutile de se battre pour acquérir une colonie qui devait leur tomber dans la main dès la signature de l'armistice. On se mit d'accord finalement autour d'un statu-quo. Les Anglais, soucieux d'empêcher toute possibilité de ravitaillement aux Italiens par le port et le Chemin de Fer, instaurèrent un blocus maritime des côtes. Djibouti entrait dans la période la plus affreuse de son histoire - le blocus (le Karmi-i) - durant laquelle tout était remis en question. Vidée de la majeure partie de ses habitants, son port exsangue, son chemin de fer coupé, la ville était en état de siège, livrée aux militaires, son approvisionnement interrompu, sa population affamée: ce n'était plus Djibouti!
Nul ne savait alors ce que réserverait un avenir qui semblait bien sombre. On voulait tenir quoi qu'il arrive, dans l'espoir d'une renaissance à l'issue du conflit.
 
 
LA VIE QUOTIDIENNE A DJIBOUTI DANS LES ANNEES TRENTE
 
Transportons-nous un instant dans les années trente. Le décor a déjà été planté: le port de commerce, le rocher du Palais, les paquebots et cargos en rade, les arcades de la place Ménélik, le soleil, les calèches... Il nous manque les personnages, les cris des enfants, l'animation de la rue, les senteurs.
 
 
LA COLONIE EUROPÉENNE
 
Aux côtés du Gouverneur se tenait son Conseil d'administration consultatif comprenant le Procureur, les Présidents de la Chambre de Commerce, du Chemin de fer, de la Banque de l'Indo-Chine et des Salines.
Le Directeur du Chemin de fer était le grand personnage. Il avait la position la plus importante car il représentait à la fois la finance et le commerce, Djibouti, l'Éthiopie et Paris. Il était l'instrument indispensable de la prospérité. On dit qu'il dirigeait en fait la politique locale et on lui prêtait le pouvoir de faire et défaire les Gouverneurs.
L'autre représentant de la finance était le Directeur de la Banque de l'Indo-Chine, une des grandes "Banques Coloniales" et qui émettait le papier-monnaie.
Les Salines et l'Afrique représentaient les autres activités principales de la colonie. On peut leur associer les hauts fonctionnaires: le Gouverneur et son Secrétaire Général, accompagnés de quelques chefs de Service.
Si le Gouverneur logeait au Palais, les autres habitaient au Plateau du Serpent. Banlieue lointaine du centre-ville au départ, le Serpent devint par la suite le quartier résidentiel. Le Directeur du Chemin de fer donna le ton et l'on s'avisa que le bord de mer était bien agréable. On s'installa à l'est afin de profiter de l'Alizé et de la Brise de mer. La place ne manquait pas pour construire de grandes demeures aux larges galeries, implantées au milieu d'une vaste concession. Il n'était guère possible d'y aménager des jardins, faute de pouvoir arroser suffisamment. Mais on planta un arbre nouveau venu qui s'adaptait bien aux conditions locales: le laurier somali (appelé plus souvent laurier du Yémen). Il avait été ramené d'un oued de Somalie, par un cuisinier de l'Hôtel Continental. Les premiers avaient été plantés par monsieur Rhigas devant son hôtel. Ils firent des petits dans toute la ville et contribuèrent à en changer l'aspect. Le Serpent n'était pas encore verdoyant et ombragé comme de nos jours, mais en passe de le devenir.
Ce "Tout-Djibouti" se recevait à tour de rôle, servi par un personnel nombreux. Ce ne fut jamais "la grande vie coloniale", les ressources locales et la taille réelle de la colonie ne le permettaient pas.
Les activités tournaient donc autour des échanges de toutes sortes. Les maisons d'import-export étaient évidemment les plus nombreuses. Elles commerçaient avec l'Éthiopie, l'Europe, les Indes, Aden. Ce port resta jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale la grande place financière et commerciale, le plus grand port de toute la région.
On trouve ensuite tous ceux qui travaillaient au transport: les compagnies maritimes pour l'affrètement, l'armement, l'aconage et l'accastillage des navires. C'étaient les succursales de grandes compagnies françaises ou étrangères plus quelques compagnies locales.
En dehors du grand commerce international, certains commerçants s'occupaient du commerce local: l'approvisionnement de la ville et de l'arrière-pays. Quelques grossistes étaient purement locaux.
Enfin, quelques marginaux étaient plus des trafiquants que des commerçants. C'est le lot de tous les ports... Ce commerce extra légal concernait principalement les armes. Le trafic portait aussi sur d'autres marchandises telles que les perles, l'alcool, les stupéfiants...
A côté du mouvement commercial proprement dit, les hôteliers étaient peu nombreux. Deux grands hôtels se partageaient l'essentiel de la clientèle: l'Hôtel des Arcades (qui affichait: "Maison française") à l'entrée de la ville et l'Hôtel Continental, vaste bâtisse sur la place Ménélik, appartenant au Grec Rhigas. Les hôtels de Djibouti ont toujours marqué les voyageurs de l'époque. Les conditions locales n'étaient guère propices au confort. Peu d'eau, donc peu de salles d'eau, qui étaient communes à l'étage par conséquent, avec une alimentation artisanale: des citernes remplies par pompe Japy à main. Peu d'électricité, donc peu de ventilation. Les cloisons et sols en bois. Mais on appréciait tellement la glace du comptoir...
Dans les maisons de la colonie européenne le mobilier était simple, souvent réduit à l'essentiel. Le lit, un "angareb " local ou un brand (lit de toile tendue sur un chevalet de bois) était le plus aéré possible et recouvert d'une moustiquaire suspendue au plafond. On couchait parfois dehors pour disposer du plus de fraîcheur possible. Durant la saison chaude,, l'humidité (décuplée par rapport à l'époque actuelle par l'évaporation des Salines) empêchait le sommeil à cause de la transpiration permanente. On se levait plusieurs fois dans la nuit pour se doucher et se recoucher mouillé sur son drap, ou, mieux enveloppé dans un drap mouillé.
Les réservoirs disposés sur les toits permettaient d'avoir de l'eau pour prendre une douche le matin, avec de l'eau fraîche, refroidie par la nuit.
Un personnel aux tâches spécialisées accomplissait les tâches domestiques. Au minimum, un "boy" et, selon la situation, un cuisinier, un chauffeur, un jardinier, un gardien. Personnel essentiellement masculin donc, sauf parfois une Ethiopienne comme nurse pour les enfants.
La cuisine se faisait au charbon de bois, les frigidaires - quand il y en eut - fonctionnaient au pétrole. On avait des glacières que l'on garnissait de pains de glace venant de la Glacière Kervorkoff (puis Coubèche).
L'approvisionnement se faisait au marché et dans les boutiques de la ville chez les épiciers grecs. Les légumes verts étaient rares, on les remplaçait par des conserves. Le Docteur Bouffard, au début du siècle, énumère: l'eau, légèrement salée, doit être filtrée. On trouve du lait de chèvre; viande de bœuf de Harar; du mouton et de la chèvre locaux, des poulets d'Arabie, venus par boutre ou de Harar par train; des oeufs; du gibier à plumes (un peu coriace), du lièvre; du dig-dig (gazelle naine); du poisson à chair fine; des huîtres (de palétuvier), des gros crabes, des crevettes et des langoustes; des légumes d'ambouli: radis, salades, carottes, tomates, choux, blettes et navets, d'octobre à juin; des légumes de Harar venus par train et d'Arabie: citrons, oranges, bananes et dattes et enfin des aliments et conserves de France venus par bateau.
La tenue vestimentaire était assez uniforme: l'inévitable casque colonial, un vêtement de toile blanche aux manches longues, au col droit empesé. Robe longue pour les dames... Cette tenue se démocratisa au fil des années. Si l'on empesait moins, le pantalon long resta de rigueur ainsi que le casque - quoique moins haut. Il fut abandonné après la guerre.
Les distractions étaient rares. La plage n'était pas prisée comme de nos jours et il n'était pas séant de bronzer. On se recevait beaucoup, on se promenait à cheval, on allait à la chasse. Un golf avait été tracé au-delà de Gabode. On ne manquait pas de se divertir les jours de fête: bals et même bals masqués à la salle des fêtes, Place Lagarde ou dans la grande salle de l'Hôtel Continental où l'on recevait pour les mariages. Monsieur Gleyze (père), pionnier du cinéma, installa un projecteur dans la salle des fêtes qui devint le Cinéma Eden, place Lagarde.
La santé était confiée aux mains des médecins de l'Hôpital, devenu Hôpital Peltier. Les maladies les plus à craindre étaient la tuberculose, endémique dans le pays et le fameux coup de chaleur. Ce dernier était fréquemment mortel: la mort survenait par asphyxie brutale, la température montant à 42° ou 43° provoquait une congestion pulmonaire intense. La forme légère se manifestait par une angoisse respiratoire, une céphalgie, de la fièvre et un arrêt de la transpiration. Les cardiaques, les obèses et les alcooliques y étaient prédisposés. Le docteur Bouffard signale 10 cas mortels en 4 ans sur 500 Européens. Il n'y avait pas de paludisme, sauf à Ambouli.
 
 
LES HABITANTS DU PAYS
 
Il faudrait retracer la vie et l'œuvre de tous les notables de Djibouti, ce qui permettrait d'avoir une histoire plus "djiboutienne" de cette époque.
Pour la majorité de la population, une foule de petits métiers était accessible: les métiers -qui ne demandent que peu ou pas d'investissement, peu ou pas de qualification.
Ils pouvaient trouver du travail auprès des grandes sociétés de la place.
Au port, s'activait une foule de dockers: il fallait charger et décharger les cargos, emplir et vider les chalands, entreposer les marchandises, les voiturer, charger et décharger les wagons du Chemin de fer. Autant d'activités que l'on retrouve dans tous les ports du monde; mais songeons à la difficulté des manutentions par 45° à l'ombre (et il n'y avait pas d'ombre, ni au port, ni en rade), et par vent de Khamsin. Le plus pénible devait être le travail des charbonniers. Étant donné le climat, la poussière était encore plus abondante qu'ailleurs. Pas de conducteur d'engins au port, pour la simple raison que tout se faisait à la main (mises à part quelques petites grues), même hisser les chalands sur le sleep de carénage: on utilisait des treuils à grands volants. Les plus marins pilotaient les remorqueurs à chalands et les chaloupes à vapeur qui allaient chercher les passagers à l'échelle de coupée. Les soutiers et chauffeurs des Messageries étaient recrutés essentiellement à Djibouti.
Au Chemin de fer, rien de bien original: des agents de la voie pour son entretien, des porteurs, des débardeurs de marchandises, des charbonniers 9 des agents d'entretien, des graisseurs, des chauffeurs...
Que dire du travail aux Salines! On reste confondu devant la dureté des conditions de travail: les pieds dans la saumure, la tête au soleil. Les salaires étaient intéressants, mais il y avait un important roulement du personnel, car on n'y travaillait pas longtemps. On trouvait ici une foule de manœuvres: les terrassiers pour l'entretien des digues et canaux, la surveillance de la circulation des eaux, les ramasseurs de sel dans les bassins, les confectionneurs de tas, les porteurs de seaux pleins de sel à verser sur les tapis roulants, les étonnants piocheurs de sel sec, qui travaillaient sur des montagnes de sel d'un blanc resplendissant ressemblant à des icebergs; les ensacheurs; les peseurs, les manutentionnaires du Chemin de fer Decauville; les dockers du port au sel qui chargeaient les cargos sauniers, depuis les chalands au moyen de cuves manoeuvrées par les palans du navire, le sel sous les pieds, sur la tête, autour et partout.
Les maisons de commerce employaient aussi une quantité de manœuvres, porteurs, charretiers. Chez les marchands de café, on trouvait les fameuses trieuses de café, travail spécifiquement féminin. Spectacle pittoresque que ces femmes accroupies devant d'énormes tas de café odorant, sous les arcades du centre-ville, bavardant ou chantant pour rythmer leurs gestes rapides. Après elles, les ensacheurs confectionnaient les ballotins de café, pesés, marqués selon leur qualité, et les charretiers qui tiraient à bras d'homme, harnachés de cordes, les plateformes chargées, jusqu'aux quais de la douane, au pied du Palais.
Les marchands de peaux trouvaient facilement du personnel qualifié: les Somalis sont des éleveurs, ils savent parfaitement dépouiller chèvres et vaches. D'autres peaux venaient d'Éthiopie par le Chemin de fer. Ces activités, moins agréables à l'odorat que le tri du café, étaient pratiquées à Boulaos, à l'écart du centre-ville, près des entrepôts.
La construction employait des maçons yéménites, mais aussi des tailleurs de madrépore, des manœuvres pour le chargement des chalands à madrépore, pour le sciage des moellons, des menuisiers pour la confection des charpentes, planchers, escaliers, vérandas, huisseries, moucharabiehs, etc.
La mer fournissait du travail aux pêcheurs de toutes sortes: la pêche aux poissons, langoustes, crevettes, crabes et coquillages, qui étaient vendus au marché. La clientèle était essentiellement européenne. Certains pêcheurs vendaient leurs prises en faisant du porte à porte chez les Européens. Pêche encore aux coquillages, pour la nacre: trocas et nacres exportés pour la fabrication des boutons; pêche aux huîtres perlières. Voilà bien encore des métiers difficiles: ces pêcheurs travaillaient sans appareil de plongée évidemment, simplement en apnée. Il faut lire les descriptions de Monfreid. Plus d'un y laissa la vie (épuisement, requins) ou au moins l'ouïe.
Au quartier Deux, existait une presse à huile, montée par des Arabes d'Aden. Un grand mortier était actionné par un chameau, il écrasait les grains de sésame venus du Yémen. L'huile était vendue en ville sous le nom de salid goulgoul.
A Ambouli travaillaient des jardiniers yéménites, dans les jardins du Gouvernement, mais aussi dans les jardins privés - tous jardins maraîchers - et dans les palmeraies. Ils avaient reconstitué leur vie simple des côtes yéménites: confection des carrés et des rigoles d'irrigation; culture des légumes, creusement, empierrage et entretien des puits; puisage de l'eau au chadouf et arrosage le soir.
Ils vivaient la journée dans des huttes de feuillage de palmier, près du puits et de la citerne. Un membre de la famille partait en ville avec ses paniers accrochés à un balancier lancé sur les épaules pour vendre la production. Le soir, tout le monde rentrait chez soi, à Ambouli, où un village s'était constitué sur une butte alluviale à l'abri des crues de l'oued.
De l'intérieur venaient les nomades pour pratiquer leurs échanges sur la Place Rimbaud (Mahmoud Harbi). Là s'activaient les marchandes de lait et de beurre, vieilles femmes accroupies devant leurs pots de bois et leurs calebasses ventrues sur odeurs de fumées aromatiques.
Les marchands d'animaux: moutons, chèvres et cabris; les marchandes de bois aux lourds fagots, ployées sous le faix ou assises devant des tas d'un bois rouge, court et noueux, disposé en carrés, si agréablement odorant; les marchands de charbon de bois; les marchandes d'épices, épices d'Éthiopie et des Indes, leurs petits tas de poudres et écorces aux couleurs variées disposés à même le sol sur du papier d'emballage. Les marchands d'encens de toutes les espèces, venus de somalie : foh, djaoui, maskati, makaddi, beiho, malmal. Toutes les senteurs de l'Orient et de l'Afrique de l'Est, du cap des Aromates - le cap Gardafui - et de l'Abyssinie.
Les rues commerçantes abritaient tous les petits commerces, les doucanes,, marchands de tissus, quincaillerie, épices, dattes, pétrole lampant, épiceries de toutes sortes; fabricants d'angarebs, cafés servant le "char", traditionnel thé de Ceylan, avec ou sans lait de chèvre, aromatisé à la cardamone (Hdil) et à la cannelle, fortement sucré. Sur la Place Ménélik, les "pacotiers" arpentaient les terrasses des cafés pour proposer aux clients, surtout les jours d'escale des paquebots, toute une petite marchandise de bric et de broc; les petits cireurs frottaient à qui mieux mieux les chaussures débarrasées des guêtres blanches; les cochers hélaient les passants qui hésitaient à monter dans la calèche antique, mais qui finissaient par céder, préférant se faire voiturer que marcher, exposés aux ardeurs du soleil. Il y avait une centaine de cochers, "garriwalgué" qui conduisaient les passagers depuis l'Escale jusqu'en ville et jusqu'aux ombrages d'ambouli. Ces calèches dataient de l'Exposition Universelle. Elles furent remplacées petit à petit par des voitures automobiles. Elles avaient été précédées par des chars à banc, munis d'un auvent pare-soleil et de grands draps blancs sur les côtés. Les vendeurs d'eau comptaient à leurs clients les touques d'eau qu'ils remplissaient au tonneau,, tiré par un âne ou au foudre, tiré par un chameau. D'autres, plus modestes, portaient deux touques (touques de pétrole réutilisées) au bout d'un balancier. Les femmes n'en portaient qu'une sur les hanches. Des artisans confectionnaient, à même la rue, avec ces mêmes touques, des braseros. Les lamelles issues du couvercle découpé, étaient croisées et introduites dans le corps du bidon pour faire office de grille porteuse du charbon de bois. D'autres réparaient ou fabriquaient des sandales avec de la peau de vache, cousant plusieurs épaisseurs pour réaliser la semelle. Les premières machines à coudre firent leur apparition et toujours dans la rue - des hommes taillaient et cousaient des vêtements. Des enfants conduisaient un groupe de passagers en visite, casque colonial tout neuf sur le chef pour les messieurs, ombrelle obligatoire pour les dames.
Les ménagères somalies faisaient leurs emplettes, la tête serrée dans un mouchoir de couleur, aux bouts tortillés noués au-dessus du front. Seules les femmes arabes étaient voilées et vêtues de noir.
Près de la Grande mosquée, des Juifs venus du Yémen confectionnaient et vendaient des bijoux, pratiquaient le change, vendaient des plumes d'autruche et autres curiosités locales. Au marché central s'affairaient les bouchers dont la viande, chèvre, mouton, vache, était accrochée à l'air sous l'auvent. Les marchands de légumes venaient d'ambouli. On y vendait aussi du poisson.
 
 
CREATION DU PORT FRANC
 
C'est en 1949 que Djibouti devient un port franc. C'est aussi à la même date que l'on crée le Franc Djibouti rattaché au dollar.
 
 
VERS L'INDEPENDANCE
 
Les 25 et 26 août 1966, le général de Gaulle, chef de L'État français en visite à Djibouti est accueilli aux cris de Indépendance par la foule venue l'acclamer ; et brusquement le 26 au soir, la Légion Etrangère intervient brutalement contre les manifestants, il y a plusieurs dizaines de morts et de nombreux blessés. Le général de Gaulle ne parait pas en public et quitte Djibouti dès le lendemain.
De nombreux Djiboutiens interrogés sur ces événements vous diront qu'il y a eu un gros malentendu. D'après eux, la foule était réellement venue acclamer De Gaulle qu'elle tenait en haute estime et qu'elle croyait porteur de promesses d'indépendance et encore à l'heure actuelle personne ne comprend la réaction dure qui a suivi.
En 1967 à la suite d'un référendum, le pays de Djibouti est appelé Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) et ses structurés gouvernementales modifiées mais toujours sous la tutelle française.
Une prise de conscience nationaliste se développe dans le pays, non sans heurts et difficultés, elle devient bientôt irréversible. Trois noms devaient s'imposer à cette occasion : Mahmoud Harbi, Hassan Gouled et Mohamed Kamil.
 
 
L'INDEPENDANCE
 
Le 8 mai 1977, la population djiboutienne consultée optait pour l'indépendance et le 27 juin cette indépendance était proclamée, donnant naissance à la république de Djibouti avec à sa tête le président Hassan Gouled Aptidon.
 
 
VERS LE MULTIPARTISME
 
En 1992 l'instauration du multipartisme crée des conflits à l'intérieur du pays. La république est divisée. La guerre entre le gouvernement et le FRUD est déclarée. Elle durera environ 2 ans.
 
 
ELECTION PRESIDENTIELLE
 
En 1999, la république de Djibouti a un nouveau président Ismaël Omar Guellel.
 
 
 
 
 
Les textes sont tirés du livre "DJIBOUTI HIER" sauf les parties "L'indépendence, vers le multipartisme et élection présidentielle".

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